V - DESIDERATA

Je voudrais suggérer, très sommairement, quelques projets dont notre communauté mathématique pourrait et devrait, à mon avis, s’occuper tout particulièrement.

A / Servons-nous de la pratique des mathématiques pour stimuler des valeurs éthiques

B / Prenons garde à la formation initiale et continue des enseignants

C / Gardons un œil sur la recherche en didactique

D / Prenons soin de la culture mathématique de la société. Vulgarisation des mathématiques

E / Sachons reconnaître les talents précoces
























A / Servons-nous de la pratique des mathématiques pour stimuler des valeurs éthiques

Les mathématiques d’aujourd’hui, qui trouvent leur origine au VIième siècle avant J-C chez les pythagoriciens et qui a élevé notre science et notre culture occidentale à de tels sommets, a surgi au sein de ce que Van der Waerden appela avec raison une communauté scientifique et confrérie religieuse. Pendant plusieurs siècles l’empreinte du pythagorisme imprégna notre culture de nombreux aspects profondément éthiques.

A l’heure actuelle, je pense que nous avons converti une grande partie de notre science en technique pure, et que nous ne sommes plus suffisamment conscients des possibilité qu’offre la pratique mathématique, à tous niveaux pour stimuler les valeurs éthiques.

Il serait bon, d’après moi, que nous autres mathématiciens nous essayions de nous en imprégner, et d’éclabousser les autres, particulièrement les plus jeunes de ces valeurs sans lesquelles notre civilisation ne peut survivre.
























 
 
 
 

B / Prenons garde à la formation initiale et continue des enseignants

En 1908, Félix Klein écrivait en guise d’introduction à ses leçons sur « Les mathématiques élémentaires d’un point de vue supérieur » :

« …Depuis longtemps les universitaires se préoccupent exclusivement de leur science, sans concéder la moindre attention au besoin de l’école, sans essayer le moins du monde d’établir une connexion avec les mathématiques de l’école. Quel a été le résultat de cette pratique ? Le jeune étudiant de l’université se voyait, au départ, confronté à des problèmes qui ne lui rappelaient pas du tout ce qui l’avait occupé à l’école. Naturellement, il oubliait toutes ces choses rapidement et complètement. Lorsque, à la fin de ses études il se transformait en professeur, il se trouvait subitement dans la situation de devoir enseigner les mathématiques élémentaires traditionnelles dans le mode pédant des générations antérieures ; et dans la mesure où il était à peine capable, sans aucune aide, de percevoir la connexion entre sa tâche et les mathématiques étudiées à l’université, il recourait très vite à la méthode d’enseignement « qui avait fait ses preuves », et de ses études universitaires ne restait plus qu’une mémoire plus ou moins agréable qui n’avait aucune influence sur son enseignement ».

Près d’un siècle est passé, et je ne pense pas que l’on puisse dire que la situation se soit améliorée, tout au moins pour ce qui concerne la formation initiale que reçoivent nos étudiants jusqu’à la licence.

Ce que la société est en droit d’espérer de l’université, pour ce qui est de la formation initiale des gens à qui elle va confier l’enseignement mathématique des plus jeunes, pourrait se composer de :

Si on se penche attentivement sur les programmes d’études de la majorité de nos universités, on constate d’importante carences sur les aspects qui pourraient conduire à cette formation adaptée de nos enseignants.

A mon avis, les cours complémentaires ajoutés à la fin des études de licence dans le but de procurer une formation pédagogique raisonnable, pas plus que les cours de formation continue ne peuvent se substituer à la formation intensive que l’on devrait stimuler réellement pendant les années universitaires, où l’étudiant est beaucoup plus réceptif.

Je pense que les universités qui ne négligent pas ouvertement ce devoir envers la société sont rares. Il est urgent de mettre la main à la pâte afin de remédier à cette situation rapidement.
 
























 
 
 

C / Gardons un œil sur la recherche en didactique

Comme nous l’avons vu, l’enseignement mathématique est une activité interdisciplinaire, extraordinairement complexe, qui embrasse des savoirs relatifs, non seulement, aux mathématiques, mais aussi à d’autres sciences qui en font emploi, à la psychologie et aux sciences de l’éducation…

Ce n’est que très récemment qu’un domaine a été défini, avec des tâches de recherche propres, difficiles et comportant de profondes conséquences du côté pratique. On peut affirmer que dans le système universitaire la didactique des mathématiques n’a pas encore trouvé une situation adaptée. Pourtant on voit se former des groupes de travail produisant des résultats importants.
 
























 
 
 

D / Prenons soin de la culture mathématique de la société. Vulgarisation des mathématiques

Plusieurs de nos pays se trouvent par des siècles de traditions imprégnés d’une culture fortement tournée vers ses composantes humanistes. En Espagne, par exemple, le mot culture semble synonyme de littérature peinture, musique…

Parmi les personnalités célèbres nombreuses sont celles qui n’ont aucune honte à confesser ouvertement leur profonde ignorance des éléments les plus basiques des mathématiques et de la science et paraissent même s’en vanter.

Les pages de nos journaux ne semblent pas encore avoir remarqué que les sciences et en particulier les mathématiques constituent de nos jours un des piliers de la culture humaine.

Il serait souhaitable que tous les membres de la communauté mathématique et scientifique, nous nous efforcions à mettre en évidence devant la société la présence influante des mathématique et de la science sur la culture.

Une société consciente de ce que la science représente pour son développement se rendra collectivement plus sensible aux problèmes de l’enseignement aux plus jeunes.La communauté mathématique internationale prête, depuis peu, beaucoup d’attention à se donner les moyens d’une vulgarisation réussie des mathématiques.
 
























 
 
 

E / Sachons reconnaître les talents précoces

Il est certain que dans nos écoles, un certain nombre d’élèves possèdent un don intellectuel exceptionnel pour les mathématiques. Ces talents passeront parfois plus ou moins inaperçus, et plutôt négligés à cause de l’impossibilité pour les professeurs de leur appliquer l’attention nécessaire. Ce sont des gens, qui ont au début un grand appétit pour l’école, mais qui passent à un stade d’ennui, de frustration et de désintérêt pouvant les conduire jusqu’à l’apathie après une période scolaire de grande souffrance.

Par ailleurs, ceux sont des talents qui pourraient rendre des services exceptionnels à notre société, si on ne les gâchait pas. C’est une grande responsabilité sociale que ce gâchis causé par notre négligence.

En Espagne, actuellement aucun organisme, qu’il soit public ou privé, ne prête une attention continue, afin de détecter, stimuler et orienter le talent extraordinaire et précoce en mathématique ni en aucune autre science. Il existe bien, et c’est largement justifié, une attention, un appui et un traitement spécial réservé aux déficients intellectuels, mais on ne prend aucun soin des surdoués.

On peut penser, et ce n’est pas sans fondement, que le talent précoce en mathématique est plus facile à détecter et à stimuler que dans d’autres sciences. De fait, depuis longtemps des expérimentations ont été réalisées avec succès dans bon nombre de pays. Il y a différents moyens de cerner le problème et parmi eux certains ne sont pas d’un coût excessif, particulièrement si l’on prend en compte le rendement à long terme d’une action bien menée.

En Amérique du Sud l’émergence de quelques personnalités au talent extraordinaire à produit un effet important sur le développement mathématique de leur pays respectif. Il est possible qu’une action soutenue afin de détecter et stimuler les talents précoces pourrait dans des délais raisonnables placer nos pays à un niveau mathématique et scientifique beaucoup plus élevé.